source : sudouest.fr
« Tout art est contemporain »
Jean-Jacques Aillagon sera vendredi à Bordeaux. Pour évoquer son livre sur Versailles, et surtout ses vues sur la culture. Interview .
Pour une fois ce n'est pas au château Labottière mais au
Grand-Théâtre que l'Institut Bernard Magrez recevra, vendredi, son
invité hebdomadaire. Il est vrai que le nom de Jean-Jacques Aillagon,
ancien ministre de la Culture, ancien président de l'établissement
public du château de Versailles, ancien administrateur du centre Georges
Pompidou, ressort forcément de la liste. De fait toutes les places sont
réservées pour cette conférence (1) qui sera suivie d'un récital de
Matthieu Arama, supersoliste et konzertmeister de l'ONBA, sur le
stradivarius acquis par Bernard Magrez.
C'est que Jean-Jacques Aillagon fait autorité dans le monde de la
culture, au-delà des clivages politiques. On se souvient par exemple que
les syndicats se sont mobilisés en sa faveur quand il a été question de
le remplacer par Xavier Darcos à Versailles en 2010. Et ses réflexions
sur les politiques culturelles ou le mécénat méritent qu'on s'y
intéresse.
« Sud Ouest » : Comment avez-vous été amené à
rencontrer Bernard Magrez ? Et à lui prêter une œuvre que vous possédez
pour l'exposition de son institut ?
Jean-Jacques Aillagon : J'ai
eu envie de le connaître quand j'ai eu connaissance de la fondation
qu'il était en train de créer. Au Palazzo Grassi (la fondation François
Pinault, à Venise, que Jean-Jacques Aillagon a dirigé pendant un an,
NDLR) j'avais un peu travaillé avec Ashok Adicéam, qui est aujourd'hui
directeur de l'institut Bernard Magrez. Il m'a invité à visiter le lieu
et j'ai été impressionné par cette envie de servir la culture. Le thème
de l'exposition, sur le temps, m'a aussi semblé original et intéressant.
Du coup j'ai proposé à Bernard Magrez de lui prêter cette photo de
Piotr Uklanski qui me semblait bien correspondre au sujet.
L'institut Bernard Magrez est-il un modèle à suivre selon vous ?
L'engagement
d'un grand entrepreneur en faveur de l'art est extrêmement
encourageant. J'accorde un intérêt d'autant plus grand au mécénat que je
suis l'auteur de la loi de 2003 sur ce sujet et que j'y ai moi-même
fait appel au Centre Pompidou, à Versailles ou au Palazzo Grassi. Cela
étant, je suis aussi convaincu que le mécénat n'a pas à se substituer à
l'action publique, qui correspond à une tradition forte dans notre pays.
On ne peut pas reprocher à un mécène d'agir selon ses goûts propres
alors que l'action publique doit intervenir selon un principe d'égalité :
entre les disciplines, les publics et les territoires. Le mécénat est
là pour intensifier le soutien à la vie culturelle. Je trouve très bien
que Bordeaux dispose à la fois de l'institut Bernard Magrez, du CAPC et
d'Evento, si celui-ci est pérennisé.
A Bordeaux vous allez présenter votre livre, « Versailles en 50 dates ». Ces dates, comment les avez-vous choisies ?
Certaines
sont venues spontanément : la mort de Louis XIV le 1er septembre 1715,
la signature du traité de Versailles le 28 juin 1919. D'autres sont
moins évidentes mais très parlantes. La fonte du mobilier d'argent, le
14 décembre 1689, est révélatrice du désarroi financier dans lequel
était plongé le régime de Louis XIV. Elle a aussi une incidence
artistique, avec le fait d'avoir opté pour le mobilier en bois doré. La
visite du pape Pie VII, le 3 janvier 1805, témoigne du retour en force
de la religion catholique dans l'Empire et des projets de Napoléon pour
Versailles.
Dans la plus grande partie de ce livre vous vous positionnez plus en historien qu'en homme d'art…
Mais
il ne faut pas séparer l'éducation et la culture ! L'histoire, la
géographie, la physique, la chimie, les mathématiques sont des
constituants de la culture, qui ne peut pas être réduite aux beaux-arts
et aux belles lettres. La culture passe par la compréhension de
l'histoire, tant personnelle que collective, par la faculté à dénombrer
l'espace, à soumettre un projet artistique à une réalité mathématique.
Je
parlerai de ça à Bordeaux : c'est seulement en 1959, avec la création
d'un ministère dédié, que la culture et l'éducation ont été perçus comme
deux choses différentes. Ce n'était pas le cas avant. Et j'observe
qu'on essaye de rétablir des relations entre les deux. Jack Lang a été
ministre à la fois de l'Éducation nationale et de la Culture dans les
années 90.
On se souvient des réactions controversées qu'ont
suscité les expositions Jeff Koons ou Murakami à Versailles. Si c'était à
refaire relanceriez-vous de telles initiatives de la même manière ?
Oui.
D'ailleurs j'observe que ma successeure travaille dans le même sens.
Ces controverses n'ont pas été aussi importantes qu'on a voulu le faire
croire. La manifestation devant le château de Versailles n'a rassemblé
que 47 personnes. Il y avait plus de journalistes que de manifestants !
Dans le même temps ces expositions ont eu des retombées internationales.
En 2011 le domaine de Versailles aura attiré 6,5 millions de visiteurs,
dont plus de 60 % d'étrangers.
Qu'une exposition d'art
contemporain _ ou une exposition tout court _ dans un lieu patrimonial
suscite le débat, c'est dans l'ordre naturel des choses. Ce que je
trouve irrecevable, c'est qu'on la considère comme un sacrilège. De
toute façon, toute œuvre d'art devient contemporaine dans les yeux de
celui qui la regarde. Vous et moi ne regardons pas une Vierge du XIIe
siècle comme le faisait un dévot du Moyen-Âge.
Le grand privilège
des œuvres d'art c'est de faire naître des émotions qui font qu'elles
échappent à l'Histoire. Quand nous avons organisé une exposition sur le
thème des trônes, avec des pièces provenant des arts africains,
européens, asiatiques ou précolombiens, il était frappant de constater
que tous représentaient l'autorité en position assise. On touche là à
l'universalité de l'esprit humain, quelque chose qui va au-delà des
civilisations et des époques.