samedi 31 décembre 2011

Interview : Jean-Jacques Aillagon : "Tout art est contemporain"



source : sudouest.fr



« Tout art est contemporain »

Jean-Jacques Aillagon sera vendredi à Bordeaux. Pour évoquer son livre sur Versailles, et surtout ses vues sur la culture. Interview . 

 

Pour une fois ce n'est pas au château Labottière mais au Grand-Théâtre que l'Institut Bernard Magrez recevra, vendredi, son invité hebdomadaire. Il est vrai que le nom de Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la Culture, ancien président de l'établissement public du château de Versailles, ancien administrateur du centre Georges Pompidou, ressort forcément de la liste. De fait toutes les places sont réservées pour cette conférence (1) qui sera suivie d'un récital de Matthieu Arama, supersoliste et konzertmeister de l'ONBA, sur le stradivarius acquis par Bernard Magrez. 

C'est que Jean-Jacques Aillagon fait autorité dans le monde de la culture, au-delà des clivages politiques. On se souvient par exemple que les syndicats se sont mobilisés en sa faveur quand il a été question de le remplacer par Xavier Darcos à Versailles en 2010. Et ses réflexions sur les politiques culturelles ou le mécénat méritent qu'on s'y intéresse. 

« Sud Ouest » : Comment avez-vous été amené à rencontrer Bernard Magrez ? Et à lui prêter une œuvre que vous possédez pour l'exposition de son institut ? 
Jean-Jacques Aillagon : J'ai eu envie de le connaître quand j'ai eu connaissance de la fondation qu'il était en train de créer. Au Palazzo Grassi (la fondation François Pinault, à Venise, que Jean-Jacques Aillagon a dirigé pendant un an, NDLR) j'avais un peu travaillé avec Ashok Adicéam, qui est aujourd'hui directeur de l'institut Bernard Magrez. Il m'a invité à visiter le lieu et j'ai été impressionné par cette envie de servir la culture. Le thème de l'exposition, sur le temps, m'a aussi semblé original et intéressant. Du coup j'ai proposé à Bernard Magrez de lui prêter cette photo de Piotr Uklanski qui me semblait bien correspondre au sujet. 

L'institut Bernard Magrez est-il un modèle à suivre selon vous ?
L'engagement d'un grand entrepreneur en faveur de l'art est extrêmement encourageant. J'accorde un intérêt d'autant plus grand au mécénat que je suis l'auteur de la loi de 2003 sur ce sujet et que j'y ai moi-même fait appel au Centre Pompidou, à Versailles ou au Palazzo Grassi. Cela étant, je suis aussi convaincu que le mécénat n'a pas à se substituer à l'action publique, qui correspond à une tradition forte dans notre pays. On ne peut pas reprocher à un mécène d'agir selon ses goûts propres alors que l'action publique doit intervenir selon un principe d'égalité : entre les disciplines, les publics et les territoires. Le mécénat est là pour intensifier le soutien à la vie culturelle. Je trouve très bien que Bordeaux dispose à la fois de l'institut Bernard Magrez, du CAPC et d'Evento, si celui-ci est pérennisé. 

A Bordeaux vous allez présenter votre livre, « Versailles en 50 dates ». Ces dates, comment les avez-vous choisies ?
Certaines sont venues spontanément : la mort de Louis XIV le 1er septembre 1715, la signature du traité de Versailles le 28 juin 1919. D'autres sont moins évidentes mais très parlantes. La fonte du mobilier d'argent, le 14 décembre 1689, est révélatrice du désarroi financier dans lequel était plongé le régime de Louis XIV. Elle a aussi une incidence artistique, avec le fait d'avoir opté pour le mobilier en bois doré. La visite du pape Pie VII, le 3 janvier 1805, témoigne du retour en force de la religion catholique dans l'Empire et des projets de Napoléon pour Versailles. 

Dans la plus grande partie de ce livre vous vous positionnez plus en historien qu'en homme d'art…
Mais il ne faut pas séparer l'éducation et la culture ! L'histoire, la géographie, la physique, la chimie, les mathématiques sont des constituants de la culture, qui ne peut pas être réduite aux beaux-arts et aux belles lettres. La culture passe par la compréhension de l'histoire, tant personnelle que collective, par la faculté à dénombrer l'espace, à soumettre un projet artistique à une réalité mathématique.
Je parlerai de ça à Bordeaux : c'est seulement en 1959, avec la création d'un ministère dédié, que la culture et l'éducation ont été perçus comme deux choses différentes. Ce n'était pas le cas avant. Et j'observe qu'on essaye de rétablir des relations entre les deux. Jack Lang a été ministre à la fois de l'Éducation nationale et de la Culture dans les années 90. 

On se souvient des réactions controversées qu'ont suscité les expositions Jeff Koons ou Murakami à Versailles. Si c'était à refaire relanceriez-vous de telles initiatives de la même manière ? 
Oui. D'ailleurs j'observe que ma successeure travaille dans le même sens. Ces controverses n'ont pas été aussi importantes qu'on a voulu le faire croire. La manifestation devant le château de Versailles n'a rassemblé que 47 personnes. Il y avait plus de journalistes que de manifestants ! Dans le même temps ces expositions ont eu des retombées internationales. En 2011 le domaine de Versailles aura attiré 6,5 millions de visiteurs, dont plus de 60 % d'étrangers.
Qu'une exposition d'art contemporain _ ou une exposition tout court _ dans un lieu patrimonial suscite le débat, c'est dans l'ordre naturel des choses. Ce que je trouve irrecevable, c'est qu'on la considère comme un sacrilège. De toute façon, toute œuvre d'art devient contemporaine dans les yeux de celui qui la regarde. Vous et moi ne regardons pas une Vierge du XIIe siècle comme le faisait un dévot du Moyen-Âge.
Le grand privilège des œuvres d'art c'est de faire naître des émotions qui font qu'elles échappent à l'Histoire. Quand nous avons organisé une exposition sur le thème des trônes, avec des pièces provenant des arts africains, européens, asiatiques ou précolombiens, il était frappant de constater que tous représentaient l'autorité en position assise. On touche là à l'universalité de l'esprit humain, quelque chose qui va au-delà des civilisations et des époques.