mercredi 4 janvier 2012

Débat : "Pour une autre politique culturelle"


source : lemonde.fr


 

"Pour une autre politique culturelle"


Alors que l'UMP a publié 52 propositions pour la culture, la gauche va devoir préciser les siennes. Une analyse du bilan du gouvernement s'impose, d'autant que les apparences sont trompeuses. La culture est l'un des rares domaines qui n'a pas vu ses crédits baisser durant le quinquennat. L'offre culturelle a augmenté. Pourtant, cette politique de l'offre a eu ce résultat paradoxal de déstructurer en profondeur le monde de la culture et de la communication et d'affaiblir la légitimité du ministère en charge de ces secteurs, négligeant ses missions fondatrices : la décentralisation, la démocratisation et la proximité avec les artistes.


Balayée l'ambition décentralisatrice : Philharmonie de Paris, nouveaux espaces du Louvre et d'Orsay, travaux au Musée Picasso, au Palais de Tokyo ou à Versailles, Maison de l'histoire de France, les moyens sont restés concentrés à Paris et en Ile-de-France.

Oubliée la politique des publics, remplacée par la coûteuse gratuité d'accès aux musées nationaux, qui, selon toutes les évaluations, n'a pas permis de diversifier la fréquentation. Les crédits de l'éducation artistique n'ont pas progressé d'un euro depuis cinq ans.

Cassée la proximité avec les artistes grâce, entre autres, à l'inénarrable Hadopi, qui aura réussi l'exploit d'éloigner les publics des créateurs. L'intermittence en sursis, l'exploitation au long cours des "entretiens" (de Valois, des arts plastiques) masquent l'absence de réflexion sur le renouveau des modèles économiques de la création. On divise pour mieux régner, en promettant des agences et des fonds, assis sur des recettes arrachées au cinéma.

Avec cette logique de l'offre, l'Etat a inventé la politique culturelle à deux vitesses. Seuls les plus gros établissements publics s'en sortent, à coups de hausses de tarifs et en captant un mécénat raréfié. La maigre manne est aussitôt engloutie dans de coûteux projets. La priorité aux coups médiatiques se fait au détriment de politiques essentielles, comme la protection des paysages ou le soutien aux équipements culturels de proximité. Chère, centralisatrice, éloignée des artistes et des publics : sans surprise, la politique culturelle de droite est d'abord destinée aux citoyens fortunés et cultivés.

Alors que faire ? La première fausse bonne idée consisterait à penser qu'une augmentation mécanique des moyens suffirait à résoudre les problèmes. C'est tentant, bien sûr. Le budget de la culture représente moins de 1 % des dépenses de l'Etat. Les politiques culturelles, bien orientées, sont économiquement efficaces car elles font levier. Elles soutiennent les créateurs, les diffuseurs, les entreprises, l'attractivité des territoires et font vivre plusieurs centaines de milliers de salariés. Elles inventent des contenus qui seront les richesses matérielles et immatérielles de demain. Mais ce raisonnement consensuel est en grande partie biaisé. Il néglige l'impact d'Internet et la disponibilité illimitée et quasi gratuite de contenus en ligne sur les modes d'organisation et de financement des politiques culturelles. En ce sens, les errements de la logique de l'offre n'ont fait qu'accélérer un délitement plus profond. Avant la question des moyens, il y a donc celle du projet : nous proposons que la gauche construise le sien en revisitant les principes fondateurs des politiques culturelles depuis cinquante ans, pour les adapter à l'ère du numérique.

Si des moyens doivent être investis généreusement, c'est certainement dans ce domaine : la démocratisation culturelle doit redevenir une priorité absolue du ministère de la culture. La culture reste un moyen puissant de faire société, si l'accès de tous aux oeuvres du passé et du présent est permis. C'est possible en intégrant systématiquement les nouvelles possibilités d'accès offertes par la diffusion numérique et en mobilisant l'ensemble des acteurs des institutions culturelles, des territoires, de l'éducation. L'audiovisuel public devra assumer son rôle dans cette tâche, grâce, notamment à la formidable opportunité que sera la future télévision connectée publique.

Les collectivités territoriales ont toujours su développer des politiques culturelles adaptées à leur territoire ; on leur doit un réseau d'institutions majeures pour le patrimoine et la création. Mais l'aménagement culturel du territoire reste un enjeu, qui ne peut être traité de façon unilatérale par l'Etat. Le dialogue entre l'Etat et les collectivités territoriales est essentiel pour assurer l'égalité d'accès à la culture. Le maillage territorial et la solidarité publique demeurent indispensables à la démocratisation. Le prochain ministre devra se donner les moyens d'irriguer les territoires délaissés et de redevenir un partenaire actif et attentif des collectivités territoriales.

Ministère proche des artistes et des créateurs, la rue de Valois avait su investir le terrain des industries culturelles et trouver les moyens de protéger et diffuser la création cinématographique, audiovisuelle et écrite. Le mécanisme de l'avance sur recettes pour le cinéma, le prix unique du livre, les quotas d'oeuvres françaises à la télévision ont été les instruments innovants de ces politiques.

Ils doivent aujourd'hui être repensés. La question des droits de la propriété intellectuelle ne peut plus être envisagée autrement que dans un cadre européen. La mise en place d'un nouveau droit d'auteur, basé sur les flux de contenus et leur rémunération en partie payante et en partie forfaitaire est probablement un moyen d'accompagner les bouleversements technologiques en Europe, tout en maintenant la diversité culturelle. On pourrait par exemple proposer la transformation d'Hadopi en "compteur" mesurant les téléchargements dans l'ensemble des pays de l'Union européenne, base de versement des droits et de soutien des productions culturelles.

Nous, fonctionnaires du ministère de la culture et des collectivités, souhaitons que s'invente une nouvelle ambition pour une culture vraiment partagée, vraiment généreuse. Nous attendons de celui qui sera élu que les cinq prochaines années ne soient pas perdues pour l'art et la culture, pour ceux qui l'inventent, la conservent, la diffusent et la servent.

par Les GRECs, Groupes d'études et de recherches sur la culture

Groupes d'études et de recherches sur la culture, réunissant des fonctionnaires travaillant dans le domaine culturel. Préoccupés par les conséquences de la politique conduite, les GRECs souhaitent mettre en débat leurs analyses et leurs proposition. Contact : lesgrecs@jean-jaures.org