Art
et culture dans les politiques éducatives. Généalogies et perspectives
actuelles
Séminaire
de recherches transdisciplinaires PARIS I / INHA / EPHE
Compte-rendu
de la séance du 18 février 2011
« L’évaluation
des acquis en matière d’éducation artistique et culturelle »
INTRODUCTION – JEAN-MIGUEL PIRE
L’évaluation des acquis en matière d’éducation
artistique et culturelle ne va pas de soi. Quels types d’évaluations
instaurer ? Quels acquis évaluer ? A quelle légitimité cette
évaluation des acquis peut-elle prétendre ? En guise d’introduction,
Jean-Miguel Pire a rappelé le manque de légitimité dont souffre sur le plan
institutionnel, et dans le contexte général de l’éducation artistique et
culturelle, la réforme d’histoire des arts de 2008. La difficulté que
représente l’évaluation des acquis a toujours constitué l’un de ses points
faibles. 2011 ouvre cependant de nouvelles perspectives avec une épreuve
désormais obligatoire d’histoire des arts au diplôme national du brevet qui ne
résout cependant pas la question de l’évaluation – la formule adoptée par
l’Education nationale n’a pas tranchée par exemple entre le contrôle continu et
l’épreuve finale et laisse aux enseignants la possibilité de définir eux-mêmes les
modalités d’évaluations. Une voie certes expérimentale mais qui a le mérite de
laisser les enseignants libres de définir leurs critères. La séance de ce
séminaire a ainsi voulu mettre en parallèle trois points de vus sur
l’évaluation et les problèmes actuels qu’elle soulève.
1. ALAIN BONNET – L’évaluation dans les
écoles d’art – Hier et Aujourd’hui
Dans la première intervention, Alain Bonnet
s’est penché sur le cas de l’évaluation des élèves dans les écoles d’art en
centrant son propos sur les apories de cette éducation artistique. Comment
juger ces élèves ? Selon quels critères, selon quelles attentes ?
Pour A. Bonnet, parler d’éducation artistique dans les écoles d’art, parler de
la formation des artistes aujourd’hui revient à désigner un phénomène qui
relève du passé dans la mesure où les modalités de formations dans les
établissements d’aujourd’hui n’entretiennent plus aucun rapport avec celles qui
avaient définies cette instruction dans le passé. Cette rupture serait ainsi
symptomatique non seulement d’une crise de l’instruction de l’art mais aussi
plus largement d’une crise de l’art lui-même.
2. JEAN-MARC LAURET - Faut-il et peut-on
prendre en compte l'éducation artistique et culturelle dans les enquêtes PISA ?
Jean-Marc Lauret s’est intéressé au cas des
enquêtes PISA dans le processus d’évaluation de l’éducation artistique et
culturelle. Mis en place par l’OCDE depuis 2000, PISA est un dispositif
comparatif des performances des systèmes d’éducations. Les enquêtes sont menées
sur une population d’élèves âgés de 15 ans à travers trois variables : la
maîtrise de la langue, les compétences en matière de culture mathématique et
les compétences en matière de culture scientifique et technique. J-M. Lauret
s’est ainsi interrogé sur les raisons qu’il y aurait à prendre en compte
l’éducation artistique et culturelle dans les enquêtes PISA. Cette intégration
se heurte d’après lui à un certain nombre de difficultés comme par exemple la
question de la modélisation de l’émotion esthétique devant les œuvres. J-M.
Lauret oriente son discours vers une probable impossibilité d’inclure
l’éducation artistique et culturelle dans le dispositif PISA mais rappelle la
nécessité de prendre au sérieux la création d’une enquête européenne
indépendante dédiée à l’EAC afin de renforcer sa place et sa légitimité dans
les sociétés.
3. VINCENT CASANOVA -
La quadrature du cercle. Evaluer savoirs et savoir-faire en histoire des arts
dans le secondaire : esquisse d'une théorie pratique
Enseignant dans une option de spécialité histoire
des arts en classe de première et terminale, Vincent Casanova s’est engagé dans
une réflexion sur son travail d’évaluation en histoire des arts. Il pointe à
juste titre une des principales difficulté : doit-on évaluer les
compétences ou les connaissances ? Cette distinction se révèle selon lui
infondée en pratique. De fait, il propose de réfléchir aux possibilités de
surmonter cette aporie. Il dégage ainsi trois propositions pour esquisser une
théorie pratique de l’évaluation des acquis en histoire des arts :
dépasser l’opposition traditionnelle entre discours critique et création
artistique, favoriser une restitution orale des contenus et privilégier
l’exercice de la dissertation qui, bien que traditionnellement présenté comme
discriminant, se révèle fécond en ce qui concerne l’organisation de la
pensée.
DISCUSSION ET CONCLUSION
Etienne Jollet est notamment revenu sur
l’importance de l’évaluation dans son rapport à une norme. Le débat sur
l’évaluation des acquis devrait pour lui fonctionner comme un aller-retour
permanent entre l’évaluation en tant que telle et l’objet à évaluer. Autre
point important qu’il a mis en évidence, la notion d’éducation artistique et
cultuelle ne va pas de soi : elle relève d’une construction culturelle
dont les connotations sociologiques sont lourdes (cf. la société de loisir,
l’élite culturelle, etc.). Les réflexions sur l’évaluation devraient donc
porter autant sur les modalités d’évaluation que sur la compréhension d’une
notion comme l’éducation artistique et culturelle.
Jean-Marc Lauret est revenu sur le problème
d’une légitimité de l’histoire des arts dans PISA. En effet, pour lui, l’enjeu
principal est de savoir si les connaissances évaluées au Baccalauréat en HDA
peuvent être assimilées à des compétences utiles et mobilisables dans la vie
adulte et professionnelle des élèves.
Vincent Casanova a rappelé qu’aujourd’hui le
débat autour des compétences est central. La réflexion par compétences permet
notamment de clarifier des savoirs « oubliés » et a permis de faire
un tri parmi les connaissances et/ou les contenus attendus dans l’enseignement
d’histoire des arts. Fondamentalement, on ne peut pas distinguer les
compétences des connaissances et l’histoire des arts permet in fine
d’ouvrir et de renouveler les catégories classiques d’évaluations. Il y aurait
une somme de critères d’évaluation assez facile à rédiger pour Alain Bonnet
notamment ceux prenant en compte la compréhension des enjeux de production
d’une image et qui permettrait de s’éloigner de la construction culturelle de
l’art aujourd’hui. Pour E. Jollet, la dissociation des compétences et des
connaissances est une mauvaise réflexion. Il faut aussi en finir avec la
distinction entre les bons élèves et ceux qui seraient marginaux dans la mesure
où cette dichotomie n’a de légitimité qu’aux yeux d’une construction politique.
Chaque individu doit être considéré dans ses contradictions internes. Il ne
faut placer l’art dans une sorte de « marginalité positive ».
Christine Bolze qui dirige un programme de
résidences d’artistes en école maternelle (« Enfance, art et
langages ») est intervenue pour rappeler à quel point la convocation d’un
artiste en milieu scolaire pose de nouvelles questions en terme d’évaluation.
La présence de l’artiste à l’école est parfois lié à une mystique de l’artiste
comme le note A. Bonnet. On suppose que le simple contact avec l’artiste peut
éveiller la créativité des enfants. Ch. Bolze rappelle cependant qu’il y a
plusieurs types de résidences d’artistes. Le projet qu’elle coordonne s’inscrit
dans la durée, sur une période de 3 ou 4 ans, où l’enjeu n’est pas d’éveiller
la créativité des enfants mais bien d’observer comment la présence de l’artiste
peut transformer, modifier et faire évoluer les démarches pédagogiques des
enseignants.
La question de l’évaluation pose donc de
nombreux problèmes : les liens entre compétences et connaissances, le
rapport à la norme et aux valeurs culturelles d’une société ou encore les
présupposés idéologiques de l’éducation artistique et culturelle elle-même.
Autant de points sur lesquels il sera fondamental de revenir dans les
prochaines années afin de rendre légitime une évaluation de l’art et du savoir
sur l’art.
Florian
Métral
Chargé
d’études pour la mission éducation artistique et culturelle / histoire des
arts
Institut
national d’histoire de l’art