mardi 14 juin 2011

Annonce : Compte rendu de la séance du séminaire : "l'enseignement de l'histoire de l'art à l'école : enjeux et méthodes"



Art et culture dans les politiques éducatives. Généalogies et perspectives actuelles
Séminaire de recherches transdisciplinaires PARIS I / INHA / EPHE

Compte-rendu de la séance du 31 mai 2011
« L’enseignement de l’histoire de l’art à l’école : enjeux et méthodes »


Michela Passini (Pensionnaire à l’Institut national d’histoire de l’art)
Léon Rosenthal et l’enseignement de l’histoire de l’art

Léon Rosenthal est un ancien normalien de la rue d’Ulm qui a enseigné ensuite à l’Ecole normale supérieure de jeunes filles à Sèvres. Cet historien de l’art s’est principalement engagé sur deux fronts : 1) l’éducation esthétique du peuple ; 2) la promotion de l’art industriel. La question de la didactique des arts occupe dans son œuvre une place centrale dans les années qui précèdent la première guerre mondiale.
Déjà en 1899 dans la Revue universitaire celui-ci appelait à une réforme du dessin. Il défend l’idée que l’histoire de l’art doit être enseignée au même titre que l’histoire de la littérature. Son ouvrage didactique majeur s’intitule Notre art national. Abrégé de l’histoire de l’art français à l’usage des enfants des écoles, Paris, Delagrave, 1915. La France y est décrite comme le foyer d’une civilisation supérieure. Il pose ainsi les jalons d’une pédagogie nationaliste de l’art et du patrimoine. Ainsi écrit-il dans les dernières lignes de l’ouvrage : « Enfant des écoles de France, si tu as bien compris ce livre, tu sais que les artistes sont des êtres utiles (…) [qui] contribuent à la gloire de notre pays ». Rosenthal développe une approche historienne très nationaliste, qui heurterait aujourd’hui, à une époque où l’enseignement d’histoire des arts instauré en France en 2008 se développe en direction d’une perspective au minimum européenne.
Mais son histoire de l’art est aussi teintée des préoccupations sociales et socialistes qui imprègnent la rue d’Ulm à cette époque. C’est pourquoi Rosenthal est considéré traditionnellement comme un historien social de l’art, qui s’intéresse aux conditions sociales de l’art. C’est là sa signature méthodologique.
D’une manière assez traditionnelle, l’ouvrage est chronologique de bout en bout. La première partie du manuel couvre l’histoire de l’art depuis l’époque préhistorique jusqu’à la Renaissance. C’est un récit historique transnational des arts. Mais à partir de l’époque moderne, la focale change puisque c’est la France qui domine désormais le récit. A noter le fait que Rosenthal et Faure étaient très liés. Du point de vue de la typographie et de la mise en page, les tableaux occupent régulièrement les 2/3 des pages, le texte le tiers restant. Pourtant, on ne trouve pas vraiment de travail descriptif des œuvres en elles-mêmes. On a plutôt affaire à un discours iconographique et non technique ou descriptif.


Pascal Heins (Doctorant et Assistant au CIFEN, Service de Didactique de l’histoire de l’art et de l’esthétique, Université de Liège, Belgique)
Enseignement de l’histoire de l’art dans l’enseignements secondaire en Communauté française de Belgique : état des lieux et questions posées par les référentiels d’études

I)              Etat des lieux de l’histoire de l’art dans l’enseignement secondaire obligatoire en Belgique

Il existe en Belgique quatre réseaux d’enseignement, dont l’origine remonte quasiment à la création de l’Etat belge. 1) le réseau de la Communauté française ; 2) le réseau officiel subventionné par la Communauté française ; 3) le réseau libre subventionné par la Communauté française ; 4) le réseau libre non subventionné par la Communauté française (rare).
Le cycle secondaire dure six années, réparties de la première à la sixième, dans un ordre inverse à l’ordre français, et divisé en deux, comme il existe en France une division entre collège et lycée. En ce qui concerne le premier degré commun, il existe un enseignement obligatoire en éducation artistique, comportant à la fois un volet d’expérimentation et un volet de culture artistique. Mais la formation des professeurs en histoire de l’art demeure légère en termes d’heures.
Les cours véritables d’histoire de l’art sont souvent liés aux orientations à dominante artistique. Dans l’enseignement général, les options « éducation artistique » font souvent l’économie de l’histoire de l’art. D’ailleurs en Belgique, l’histoire de l’art ne fait pas vraiment l’objet d’« enjeux institutionnels ».

II)            Quels référentiels d’études ?

Le « décret-missions » est en Belgique le texte qui liste les « compétences » qu’un enseignement d’histoire de l’art est susceptible de faire acquérir aux élèves. Une compétence est une aptitude à mobiliser des savoirs et des savoir-faire. En ce sens, une compétence n’est pas qu’une acquisition de connaissance. Elle est la façon dont ces connaissances sont susceptibles d’être mobilisées par l’élève.
D’où quatre notions clés qui gravitent dans les textes autour de l’idée de compétence : 1) la mise en œuvre ; 2) la mobilisation ; 3) l’intégration ; 4) le transfert. D’où également cinq familles d’objectifs assignés à l’éducation artistique et culturelle en vue de délivrer lesdites compétences : 1) regarder ; 2) connaître ; 3) faire ; 4) s’exprimer ; 5) apprécier.
Le problème réside en ceci que la plupart des compétences listées par le « décret-missions »… n’en sont pas ! Il s’agit plutôt d’objectifs de connaissances. Il faut donc développer trois axes fondamentaux de réflexion si l’on veut faire émerger les compétences que l’histoire de l’art peut apporter aux étudiants : 1) une réflexion sur les finalités de l’enseignement de l’histoire de l’art (« utilité ») ; 2) une réflexion sur la nature des processus de connaissance en histoire de l’art ; 3) une réflexion sur les savoirs disciplinaires (« moments clés, thèmes, œuvres »).
Finalement, il reste surtout à élaborer des manuels qui prennent en compte enseignement et apprentissage, et qui ne soient pas des histoires de l’art déguisées. Par ailleurs, il existe certes en Belgique une certification d’histoire de l’art, au contraire de l’exemple français, mais celle-ci n’est pas automatiquement synonyme d’attribution de poste.


Marion Martin-Laprade  (Responsable du portail Histoire des Arts, Ministère de la culture et de la communication)
Le portail Histoire des arts

Le portail Histoire des arts a été créé au moment de l’instauration du nouvel enseignement en 2008. Il regroupe 4000 œuvres d’art en ligne, classées par période historique, artistique ou  regroupement thématique : il s’agit en fait d’un annuaire où les œuvres sont assorties d’un commentaire.
Ce portail concerne tous les enseignants sans exclusive. Il souhaite les aider à préparer un cours, les rassurer, mais également leur permettre une vraie appropriation du sujet.
La « carte cliquable » permet d’aller à la recherche du patrimoine local. Elle est donc un outil extrêmement précieux. Le portail assure par ailleurs une pérennité virtuelle à des expositions qui n’existent plus physiquement. Ainsi des expositions achevées peuvent continuer à accueillir virtuellement des visiteurs.


Bruno Guilois (Conseiller patrimoine et histoire des arts au Centre national de la documentation pédagogique)
Quelle didactique pour l’histoire des arts dans l’enseignement secondaire ?

Le problème principal qui se pose est le suivant : l’œuvre d’art doit être abordée en tant que telle, ce qui interroge le rapport entre document et monument, pour reprendre la dialectique de Panofsky.

I)              L’option « histoire de l’art » dans les lycées

Cette option a été créée au début des années 1990. De fait, elle se présente sous deux configurations possibles : dans le premier cas, elle est facultative et concerne potentiellement tous les bacheliers ; dans le second cas, elle est une option lourde qui ne concerne potentiellement que les sections littéraires.
S’est mis en place récemment en seconde un programme nouveau, qui affirme le besoin de « contact direct avec les œuvres dans leur matérialité et leur environnement ». Ce programme recommande également de ne pas faire « d’étude linéaire d’une période, mais de distinguer des moments forts ». L’objectif est de « faire ressentir les ruptures et les enjeux esthétiques ».
D’un point de vue méthodologique, comment mettre en place un cours d’histoire de l’art face à des lycéens ? On peut partir d’une impression globale, de la confrontation des élèves à un tableau. En d’autres termes, on peut initier un cours à partir du ressenti d’une première impression. Mais il ne faut surtout pas en rester là, et leur prodiguer ensuite un vocabulaire artistique minimum. En effet, « ne pas nommer, c’est empêcher de voir ».

II)            Sur la nouvelle histoire des arts

La grande question que se posent les enseignants, c’est comment mettre en œuvre concrètement la transdisciplinarité recommandée dans les textes. Dans le même temps, lesdits enseignants sont pourtant convaincus de la nécessité de sortir du collège.
Dans sa conférence prononcée à Fontainebleau le 29 mai 2011 à l’occasion du premier Festival d’histoire de l’art, Eric de Chassey confiait que tous les cours d’histoire de l’art se faisaient, à l’époque où il était élève, sur diapositive. Or comment faire ressentir la matérialité, la chair d’une œuvre, les bosses, les replis et les déliés d’une peinture au couteau par exemple… à partir d’une diapositive ?
L’expérience montre que les enseignants, pour répondre à l’exigence de transdisciplinarité, choisissent les œuvres d’art les plus riches possibles, qui leur permettront de tisser le maximum de liens entre l’éducation artistique et leur propre discipline.



Jonathan Bayol
Chargé d’études
Haut conseil de l’éducation artistique et culturelle