Art et culture
dans les politiques éducatives. Généalogies et perspectives actuelles
Séminaire de
recherches transdisciplinaires PARIS I / INHA / EPHE
Compte-rendu de
la séance du 31 mai 2011
« L’enseignement
de l’histoire de l’art à l’école : enjeux et méthodes »
Michela
Passini (Pensionnaire à l’Institut national d’histoire de l’art)
Léon
Rosenthal et l’enseignement de l’histoire de l’art
Léon Rosenthal est un ancien normalien de
la rue d’Ulm qui a enseigné ensuite à l’Ecole normale supérieure de jeunes
filles à Sèvres. Cet historien de l’art s’est principalement engagé sur deux
fronts : 1) l’éducation esthétique du peuple ; 2) la promotion de
l’art industriel. La question de la didactique des arts occupe dans son œuvre
une place centrale dans les années qui précèdent la première guerre mondiale.
Déjà en 1899 dans la Revue universitaire celui-ci appelait à une réforme du dessin. Il
défend l’idée que l’histoire de l’art doit être enseignée au même titre que
l’histoire de la littérature. Son ouvrage didactique majeur s’intitule Notre art national. Abrégé de l’histoire de
l’art français à l’usage des enfants des écoles, Paris, Delagrave, 1915. La
France y est décrite comme le foyer d’une civilisation supérieure. Il pose
ainsi les jalons d’une pédagogie nationaliste de l’art et du patrimoine. Ainsi
écrit-il dans les dernières lignes de l’ouvrage : « Enfant des écoles
de France, si tu as bien compris ce livre, tu sais que les artistes sont des
êtres utiles (…) [qui] contribuent à la gloire de notre pays ». Rosenthal
développe une approche historienne très nationaliste, qui heurterait
aujourd’hui, à une époque où l’enseignement d’histoire des arts instauré en
France en 2008 se développe en direction d’une perspective au minimum
européenne.
Mais son histoire de l’art est aussi
teintée des préoccupations sociales et socialistes qui imprègnent la rue d’Ulm
à cette époque. C’est pourquoi Rosenthal est considéré traditionnellement comme
un historien social de l’art, qui s’intéresse aux conditions sociales de l’art.
C’est là sa signature méthodologique.
D’une manière assez traditionnelle,
l’ouvrage est chronologique de bout en bout. La première partie du manuel
couvre l’histoire de l’art depuis l’époque préhistorique jusqu’à la Renaissance.
C’est un récit historique transnational des arts. Mais à partir de l’époque
moderne, la focale change puisque c’est la France qui domine désormais le
récit. A noter le fait que Rosenthal et Faure étaient très liés. Du point de
vue de la typographie et de la mise en page, les tableaux occupent
régulièrement les 2/3 des pages, le texte le tiers restant. Pourtant, on ne
trouve pas vraiment de travail descriptif des œuvres en elles-mêmes. On a
plutôt affaire à un discours iconographique et non technique ou descriptif.
Pascal
Heins (Doctorant et Assistant au CIFEN, Service de Didactique de l’histoire de
l’art et de l’esthétique, Université de Liège, Belgique)
Enseignement
de l’histoire de l’art dans l’enseignements secondaire en Communauté française
de Belgique : état des lieux et questions posées par les référentiels
d’études
I)
Etat des lieux de l’histoire de l’art
dans l’enseignement secondaire obligatoire en Belgique
Il existe en Belgique quatre réseaux
d’enseignement, dont l’origine remonte quasiment à la création de l’Etat belge.
1) le réseau de la Communauté française ; 2) le réseau officiel subventionné
par la Communauté française ; 3) le réseau libre subventionné par la
Communauté française ; 4) le réseau libre non subventionné par la
Communauté française (rare).
Le cycle secondaire dure six années,
réparties de la première à la sixième, dans un ordre inverse à l’ordre
français, et divisé en deux, comme il existe en France une division entre
collège et lycée. En ce qui concerne le premier degré commun, il existe un
enseignement obligatoire en éducation artistique, comportant à la fois un volet
d’expérimentation et un volet de culture artistique. Mais la formation des
professeurs en histoire de l’art demeure légère en termes d’heures.
Les cours véritables d’histoire de l’art
sont souvent liés aux orientations à dominante artistique. Dans l’enseignement
général, les options « éducation artistique » font souvent l’économie
de l’histoire de l’art. D’ailleurs en Belgique, l’histoire de l’art ne fait pas
vraiment l’objet d’« enjeux institutionnels ».
II)
Quels référentiels d’études ?
Le « décret-missions » est en
Belgique le texte qui liste les « compétences » qu’un enseignement
d’histoire de l’art est susceptible de faire acquérir aux élèves. Une
compétence est une aptitude à mobiliser des savoirs et des savoir-faire. En ce
sens, une compétence n’est pas qu’une acquisition de connaissance. Elle est la
façon dont ces connaissances sont susceptibles d’être mobilisées par l’élève.
D’où quatre notions clés qui gravitent
dans les textes autour de l’idée de compétence : 1) la mise en
œuvre ; 2) la mobilisation ; 3) l’intégration ; 4) le transfert.
D’où également cinq familles d’objectifs assignés à l’éducation artistique et
culturelle en vue de délivrer lesdites compétences : 1) regarder ; 2)
connaître ; 3) faire ; 4) s’exprimer ; 5) apprécier.
Le problème réside en ceci que la plupart
des compétences listées par le « décret-missions »… n’en sont
pas ! Il s’agit plutôt d’objectifs de connaissances. Il faut donc
développer trois axes fondamentaux de réflexion si l’on veut faire émerger les
compétences que l’histoire de l’art peut apporter aux étudiants : 1) une
réflexion sur les finalités de l’enseignement de l’histoire de l’art
(« utilité ») ; 2) une réflexion sur la nature des processus de
connaissance en histoire de l’art ; 3) une réflexion sur les savoirs disciplinaires
(« moments clés, thèmes, œuvres »).
Finalement, il reste surtout à élaborer
des manuels qui prennent en compte enseignement et apprentissage, et qui ne
soient pas des histoires de l’art déguisées. Par ailleurs, il existe certes en
Belgique une certification d’histoire de l’art, au contraire de l’exemple
français, mais celle-ci n’est pas automatiquement synonyme d’attribution de
poste.
Marion
Martin-Laprade (Responsable du portail Histoire des Arts, Ministère de la
culture et de la communication)
Le
portail Histoire des arts
Le portail Histoire des arts a été créé au moment de l’instauration du nouvel
enseignement en 2008. Il regroupe 4000 œuvres d’art en ligne, classées par
période historique, artistique ou regroupement thématique : il s’agit en
fait d’un annuaire où les œuvres sont assorties d’un commentaire.
Ce portail concerne tous les enseignants
sans exclusive. Il souhaite les aider à préparer un cours, les rassurer, mais
également leur permettre une vraie appropriation du sujet.
La « carte cliquable » permet
d’aller à la recherche du patrimoine local. Elle est donc un outil extrêmement
précieux. Le portail assure par ailleurs une pérennité virtuelle à des
expositions qui n’existent plus physiquement. Ainsi des expositions achevées peuvent
continuer à accueillir virtuellement des visiteurs.
Bruno
Guilois (Conseiller patrimoine et histoire des arts au Centre national de la
documentation pédagogique)
Quelle
didactique pour l’histoire des arts dans l’enseignement secondaire ?
Le problème
principal qui se pose est le suivant : l’œuvre d’art doit être abordée en
tant que telle, ce qui interroge le rapport entre document et monument,
pour reprendre la dialectique de Panofsky.
I)
L’option
« histoire de l’art » dans les lycées
Cette option a
été créée au début des années 1990. De fait, elle se présente sous deux
configurations possibles : dans le premier cas, elle est facultative et
concerne potentiellement tous les bacheliers ; dans le second cas, elle
est une option lourde qui ne concerne potentiellement que les sections
littéraires.
S’est mis en
place récemment en seconde un programme nouveau, qui affirme le besoin de
« contact direct avec les œuvres dans leur matérialité et leur
environnement ». Ce programme recommande également de ne pas faire
« d’étude linéaire d’une période, mais de distinguer des moments
forts ». L’objectif est de « faire ressentir les ruptures et les
enjeux esthétiques ».
D’un point de
vue méthodologique, comment mettre en place un cours d’histoire de l’art face à
des lycéens ? On peut partir d’une impression globale, de la confrontation
des élèves à un tableau. En d’autres termes, on peut initier un cours à partir
du ressenti d’une première impression. Mais il ne faut surtout pas en rester
là, et leur prodiguer ensuite un vocabulaire artistique minimum. En effet,
« ne pas nommer, c’est empêcher de voir ».
II)
Sur la
nouvelle histoire des arts
La grande
question que se posent les enseignants, c’est comment mettre en œuvre
concrètement la transdisciplinarité recommandée dans les textes. Dans le même
temps, lesdits enseignants sont pourtant convaincus de la nécessité de sortir
du collège.
Dans sa
conférence prononcée à Fontainebleau le 29 mai 2011 à l’occasion du premier
Festival d’histoire de l’art, Eric de Chassey confiait que tous les cours
d’histoire de l’art se faisaient, à l’époque où il était élève, sur
diapositive. Or comment faire ressentir la matérialité, la chair d’une œuvre,
les bosses, les replis et les déliés d’une peinture au couteau par exemple… à
partir d’une diapositive ?
L’expérience
montre que les enseignants, pour répondre à l’exigence de transdisciplinarité,
choisissent les œuvres d’art les plus riches possibles, qui leur permettront de
tisser le maximum de liens entre l’éducation artistique et leur propre
discipline.
Jonathan Bayol
Chargé d’études
Haut conseil de
l’éducation artistique et culturelle