mercredi 4 avril 2012

Nos enfants et la culture : la députée PS Aurélie Filippetti ouvre la discussion

source : telerama.fr

 

 

Nos enfants et la culture : la députée PS Aurélie Filippetti ouvre la discussion

Comment transmettre le goût, le désir de culture(s) à l'école ? Aurélie Filippetti, ex professeur, porte-parole et responsable des questions culturelles au Parti socialiste nous répond, à l'occasion du forum organisé par “Télérama”, les 6 et 7 avril au Centre Pompidou à Paris.


Propos recueillis par Emmanuel Tellier
Janvier 2012, Paris. Aurelie Filippetti, deputée PS de Meurthe et Moselle et porte-parole du groupe socialiste à l'Elysée. Photo MAXPPP.

Comment faire davantage entrer la culture à l’école ?
Nous sommes trop souvent confrontés à un problème de structures, d’affectation et d’origine des budgets. En fait, la question de l’éducation artistique a toujours fait l’objet d’un tiraillement entre les deux ministères, celui de l’Education nationale et celui de la Culture. Du côté du premier, l’accès à la culture est une question éducative certes importante, mais pas prioritaire, car prise au milieu de tant d’autres disciplines jugées plus cruciales, plus structurantes, plus directement utiles aux élèves. Du côté du ministère de la Culture, où se trouvent tous les réseaux, les professionnels, les compétences les plus affûtées, on n’a pas la main sur la dimension pédagogique, et surtout, on n’a pas les budgets permettant de faire les choses en grand. Donc on a l’argent d’un côté, mais il sert à autre chose, et les idées pour la culture de l’autre, mais sans les moyens de les mettre en place. Rappelons que l’éducation artistique a un budget réel d’à peine 31 millions d’euros dans le budget du ministère de la Culture !

Comment dépasser ce hiatus ?

Je pense que ces questions dépendent beaucoup des personnes qui sont à la tête des structures de décision, et donc en l’occurrence des ministres nommés à ces deux postes. Si la relation entre Jack Lang et Catherine Tasca a si bien fonctionné (de 2000 à 2002, dans un gouvernement Jospin. NDLR) c’est parce que nous avions là deux personnalités avec des sensibilités très cohérentes, éprises de culture et de transmission et, surtout, se sentant portées par des objectifs communs. On se souvient qu’ensemble, Lang et Tasca ont posé des bases pour un plan d’éducation artistique ambitieux, avec l’entrée à l’école de nouvelles disciplines – plan qui a ensuite été abandonné, hélas, par le gouvernement suivant.


“L’origine du hiatus, c’est que
pour faire exister une vraie politique culturelle, Malraux a obtenu
la séparation de la culture et de l’éducation.


L’origine du hiatus, c’est que pour faire exister une vraie politique culturelle, Malraux a obtenu de De Gaulle la séparation de la culture et de l’éducation. On a donc créé, en 1959, un ministère des Affaires culturelles. C’était bien pour la culture, mais cela a éloigné les prérogatives culturelles et artistiques de l’univers de l’école. Au moment du Front populaire, Jean Zay plaidait, lui, pour une éducation globale, décloisonnée, où les savoirs artistiques devaient être abordés de front avec tout le reste du travail dans le cadre de l’école, tout près des sciences par exemple. En 1936, Jean Zay était d’ailleurs ministre de l’Education nationale et des Beaux-Arts.

Et en cinq décennies, depuis Malraux, on n’a jamais vraiment su relancer cette ambition globale ?

Non, pas sur le long terme, à l’exception du plan Lang-Tasca. Du coup, en France, nous sommes un peu les mauvais élèves de l’Europe, avec une présence insuffisante de l’éducation artistique dans les écoles, mais aussi, et c’est peut-être encore plus choquant et incompréhensible, à l’université. Par rapport à nos voisins allemands, britanniques et italiens, qui ont des actions assez extraordinaires autour notamment de la musique, on est extrêmement en retard. Et il y a là un grand paradoxe quand on entend les discours d’intention, et la place de la culture en France…


“Il faut emmener les plus jeunes vers la culture, physiquement.”

A l’université, c’est carrément le désert, non ?
Quand, en 1984-85, François Mitterrand demande un rapport à Pierre Bourdieu sur l’éducation artistique, celui-ci répond qu’il y a là, après le bac, un grand trou noir. Avant, au lycée, il y a encore des choses, mais dès qu’on arrive à la fac, plus rien, c’est le néant. Alors que c’est précisément le moment où les jeunes adultes sont les plus assoiffés de découvertes et de nouveaux horizons culturels, à ce stade décisif de leur vie où ils ont un peu de temps pour cela, y sont très attentifs, et s’installent dans des villes où généralement l’offre culturelle est très présente. Il existe un réseau Art-Université-Culture sur lequel s'appuyer mais sinon, comme l’écrit Bourdieu, c’est souvent le grand impensé…

Que proposez-vous pour réparer cet “impensé”, vous et vos amis socialistes ?
Au programme de François Hollande, et plus largement pour repenser toute la question de la transmission culturelle – de la maternelle à l’université –, figure la proposition de créer une nouvelle instance : un outil de coordination interministériel. C’est le lieu où l’éducation artistique serait pensée et coordonnée de manière ambitieuse. François Hollande a fait de cette question l’une de ses priorités pour l’école.

Et cette nouvelle structure pourrait régler tous les problèmes actuels ?

Oui, si encore une fois, les hommes et les femmes qui seront nommés à ces ministères et dans cette structure de liaison sont convaincus et avancent dans le même sens. Je peux par exemple vous assurer que Vincent Peillon, qui s’occupe des questions d’éducation au Parti socialiste, est un homme de culture, très attentif à cette problématique.
<p>Novembre 2011, à Bruxelles. Francois Hollande avec la députée Aurélie Filipetti, responsable des affaires culturelles au PS. Photo MAXPPP.</p>
Novembre 2011, à Bruxelles. Francois Hollande avec la députée Aurélie Filipetti, responsable des affaires culturelles au PS. Photo MAXPPP.


Concrètement, dans les programmes, que voudriez-vous voir évoluer ?

L’éducation à l’image et à l’art, distinct de l’enseignement de l’histoire des arts, devrait, selon moi, être bien mieux mis en avant, et même être considéré comme l’un des piliers du travail scolaire, notamment via l’interdisciplinarité – par un travail concerté avec les profs de lettres, d’histoire et bien sûr de musique et d’arts plastiques. Et puis, il faut bien sûr favoriser les contacts avec le monde vivant de la culture, faciliter les rencontres, les visites, les jumelages avec des artistes et des institutions, dans tous les lieux qui le permettent, en y mettant l’argent nécessaire pour rémunérer tous les intervenants.


“Le Parti socialiste souhaite réorganiser
le temps scolaire et mettre en place
des créneaux horaires dévolus aux pratiques artistiques.

Il faut emmener les plus jeunes vers la culture, physiquement. Créer du dialogue avec le théâtre, le cinéma, la musique. Ce qui se fait aujourd’hui est beaucoup trop frileux ! Alors que quand on a de l’imagination, et qu’on est encouragés par les structures, il y a des idées superbes à développer. A Metz, le Centre Pompidou a mis en place le système des « petits médiateurs » : ce sont des enfants qui reçoivent une formation spécifique dans le cadre du Centre, puis assurent ensuite la visite aux camarades de leur propre classe. Voilà quelque chose de très valorisant, et sans doute à généraliser au plus vite.
Je pense qu’en France, il y a beaucoup d’expériences qui marchent à un niveau local ou régional, et que le travail des deux ministères, Education comme Culture, devrait être de s’en inspirer pour développer les meilleures de ces idées et en faire profiter le plus grand nombre, au niveau national si possible… Je crois aussi beaucoup à la pratique du théâtre, notamment pour les élèves décrocheurs, à tous ces ateliers qui permettent d’aborder autrement la langue, le texte, ainsi que le travail du corps, le rapport à l’autre, le respect. Il me semble qu’il y a beaucoup à développer de ce côté-là, à la manière par exemple de ce qui se fait en Grande-Bretagne. Mais pour cela, comme le souhaite le Parti socialiste et comme le défend Vincent Peillon, il faut réorganiser le temps scolaire, et mettre en place des créneaux horaires spécifiquement dévolus aux pratiques artistiques, dans le cadre de l’école. Il s’agirait de créer des moments particuliers dans la semaine des enfants, des plages de temps bien séparés du reste de l’enseignement, reposant sur une toute autre logique que le reste des cours.

Comment associer la famille, les parents, à ce cheminement vers la culture ?

Cette question est cruciale, car on sait bien qu’aujourd’hui, dans de nombreuses familles, il y a peu (ou pas) de dialogue, d’échange, autour de la culture au sens large. Et donc parfois, les enfants se retrouvent à en savoir plus que leurs parents, ce qui peut créer un décalage. Parmi les bonnes idées, le Metropolitan Museum of Art de New York a imaginé que lorsque les enfants d’une classe vont visiter un musée ou un centre d’art dans leur ville, le lieu pourrait leur offrir, en fin de parcours, un « billet famille » de manière à ce que l’enfant lui même devienne prescripteur auprès des siens.
Dans les milieux défavorisés, où l’on sait qu’il y a un manque de familiarité avec l’art, la peinture, la sculpture, il faut aider toute la famille à dépasser ses complexes ; et il faut aider l’enfant à partager avec sa famille, de manière à ce qu’il ne se retrouve pas isolé, dans une quasi-culpabilité quant à son savoir, ses émotions… Bien souvent, on est obligé d’admettre que la démocratisation culturelle ne permet pas assez le brassage social – un tiers seulement des français a fréquenté un établissement culturel dans les 12 derniers mois –, et du coup, cela ajoute à nos difficultés lorsqu’on s’adresse aux enfants d’aujourd’hui. L’école a un rôle d’autant plus crucial.

Le rôle du politique, c’est quoi ? Repérer les bonnes expériences et demander leur élargissement ?
Absolument. Par exemple, sur la politique des publics, et de tout ce qui touche à la démocratisation, en lien très proche avec les collectivités locales et les établissements publics, le ministère de la Culture doit peser de tout son poids. Il doit être un véritable pilote ! Et il doit aussi, beaucoup plus qu’aujourd’hui, travailler étroitement avec le ministère de l’Education nationale pour faire entrer des intervenants du milieu de la culture dans les collèges, dans les lycées. Il faut dégager des budgets pour cela, de manière à rémunérer ces intervenants, et mettre, dans le cadre de l’école, les enfants et les ados en contact physique avec le monde de la création.
L’école a besoin d’aide, et d’intervenants extérieurs ! Seule, elle ne peut pas tout faire. Alors c’est à nous, politiques, élus, pouvoirs publics, de nous battre pour organiser ce dialogue essentiel entre l’école et tous les autres grands acteurs de l’éducation, les associations, les mouvements d’éducation populaires, les lieux de culture. On ne pourra y arriver que si tout le monde œuvre dans le même sens et en s’appuyant sur la décentralisation culturelle. Il y a beaucoup d’acteurs impliqués dans la transmission de la culture en France – regardez le travail des FRAC  ! – mais on a le sentiment que les choses sont trop éparpillées, qu’on n’aide pas assez tous ces militants à réunir leurs forces. Et ça, ce devrait être l’un des rôles du ministère de la Culture.

Vous avez vous-même été professeur de lettres. Concrètement, sur le terrain, quand on veut emmener les enfants vers la culture, quelles difficultés rencontre-t-on ?
Quand on est prof, il faut vraiment beaucoup d’énergie et une énorme envie pour s’investir au delà de l’enseignement cadré qui nous est demandé. Le travail de base est déjà difficile, très exigeant, alors dès qu’un prof souhaite faire plus, comme par exemple emmener une classe en extérieur, au cinéma ou dans un musée, c’est compliqué ! Et souvent, ça repose sur du volontariat, on ne se sent pas du tout assez aidé, conseillé…


“C’est comme ça que ça fonctionne,
la transmission de la culture :
par un ensemble de petits pas, de liens qui se tissent peu à peu.”

Alors que lorsqu’un cadre culturel intelligent est proposé aux enseignants, les choses se font très bien. Je me souviens d’avoir profité du programme « Collège au cinéma » avec mes élèves, et c’était excellent, on recevait un livret pédagogique très bien pensé, on allait régulièrement dans un cinéma d’art et d’essai, on pouvait faire un travail véritablement suivi, avec un parcours de plusieurs films pendant l’année. Voilà l’exemple de quelque chose qui marchait bien, même s’il me semble que le dispositif a un peu perdu de son ampleur depuis…

Et les enseignants sont très demandeurs, n’est-ce-pas ?
Bien sûr, de très nombreux professeurs prennent tout ce travail en plus très à cœur, et il faut savoir que bien souvent, ils se débrouillent aussi bien qu’ils peuvent, avec le peu de moyens qu’ils ont, mais avec une envie énorme… Et j’ajoute que l’immense majorité des enseignants aujourd’hui sont des gens qui sont tout à fait bien dans leur époque, en phase avec les cultures d’aujourd’hui, intéressés par elles.
Je peux vous assurer que quand on va au festival de danse hip hop de Suresnes [Suresnes Cités danse. NDLR], on se rend compte qu’il y a là une immense qualité de travail et une magnifique opportunité de bâtir des choses autour de la culture. La salle est pleine d’ados de banlieue, des jeunes qui n’y ont sans doute pas beaucoup mis les pieds avant. Et à partir de cette expérience, certains voudront sans doute remonter le fil, voir d’autres spectacles, ou chercher à comprendre qui était ce Jean Vilar qui a donné son nom à cette salle. S’ils viennent une seconde fois, c’est un début de victoire… C’est comme ça que ça fonctionne, la transmission de la culture : par un ensemble de petits pas, de liens qui se tissent peu à peu.