Source : fragil.org
"La culture, ce n’est pas magique !"
Il ne suffit pas d’allumer une flamme, il faut l’entretenir...
L’enfant devrait rencontrer les pratiques
culturelles et artistiques à l’école ou en dehors ? Quelques éléments de
réponse avec François Allaert, ancien coordinateur culturel
départemental pour l’Académie de Nantes et élu culturel à la mairie de
Nort-sur-Erdre.
Fragil : Quel est votre parcours professionnel ?
François Allaert : J’ai 50
ans. Je suis rentré dans l’Éducation nationale en 1981, c’est clair, je
suis un enseignant de la « génération Mitterrand ». Une des premières
décisions de son gouvernement a été de multiplier les postes dans
l’éducation par deux. Il y avait une vraie volonté au niveau de
l’éducation et de la culture qui étaient perçues comme essentielles.
Après trois ans de formation à l’École Normale d’Instituteurs, j’ai
enseigné sept ans. Mon parcours personnel aussi bien associatif,
culturel et politique, puisque j’ai été élu subdélégué
à la culture à la mairie de Couëron, m’ont amené à la Fédération des
Amicales Laïques (FAL).
De 1992 à 1995, j’ai donc été responsable du service culture de la FAL
44. Ensuite, jusqu’en 2002, j’ai été recruté par la mairie de Couëron en
détachement de la FAL, comme responsable du service développement
culturel de la ville pendant sept ans.
En 2002 j’ai réintégré l’Éducation nationale pendant un an comme
directeur d’école primaire à Indre. A la rentrée 2003, je suis devenu
coordinateur culturel départemental auprès de l’inspecteur d’académie de
Loire-atlantique pour le premier degré. En 2009, j’ai quitté ce poste,
sur le point d’être supprimé, pour devenir responsable du service
culture de la mairie de Nort-sur-Erdre. Depuis un an, j’ai
définitivement quitté la fonction publique territoriale, ainsi que
l’école.
Quels sont vos propres souvenirs de la culture à l’école ?
Ça commence à dater ! Il y a très souvent un enseignant
derrière le déclic d’une pratique personnelle qui fait office de
« passeur », de « médiateur » avec l’art et la culture. Cela dépend
aussi du contexte familial. J’ai la chance d’avoir eu des parents
curieux de tout ! Je pense que l’école vient appuyer cette ouverture
commencée à la maison.
J’ai souvenir d’un professeur de Lettres qui m’a fait aimer le théâtre,
ce qui n’était pas gagné ! Mais pendant mes années au lycée, c’est
plutôt mon parcours personnel qui m’a apporté quelque chose. A l’école
élémentaire, je me rappelle seulement d’une saynète jouée en CM2, avec
une pratique personnelle qui m’a laissé penser, qu’effectivement, on
pouvait avoir du plaisir dans cette situation-là.
Après, le vrai révélateur, c’est ma formation comme enseignant à l’École
Normale d’Instituteurs. On a eu la chance de faire partie de
générations qui ont été vraiment formées, ouvertes, et ramonées à la
pratique artistique et culturelle. Cela n’existe plus. Nos formateurs à
l’époque se sont battus pour cette accessibilité, c’était souvent des
soixante-huitards. On abordait plein de pratiques dont des ateliers
d’écriture, du gros délire ! On était dans un processus de maturation et
de création. On se construisait et on se révélait personnellement à
travers ces pratiques. Je pense que du coup, ça faisait de nous des
enseignants capables d’aller chercher tout ça chez l’élève. La formation
des enseignants à cette période enclenchait chez nous une pratique
personnelle et on est devenu boulimique !
Comment ça marche l’Académie, l’Éducation nationale ?
C’est difficile de rentrer dans le mammouth (sic) !
Généralement les gens ne savent pas par quel bout le prendre. Moi je
pouvais représenter une porte d’entrée. Du fait de mon parcours, j’avais
aussi pour collègues des directeurs de salle, des compagnies diverses,
des artistes. Alors ils venaient frapper à ma porte pour savoir comment
ils pouvaient rentrer, comment ils pouvaient construire des projets en
lien avec l’éducation.
Il y a toujours une grosse confusion entre le Rectorat,
l’Académie et l’Inspecteur académique. L’Académie de Nantes représente
toute la région. Le recteur d’académie a sous sa responsabilité le
premier degré et le second degré, via des inspecteurs d’académie dans
chaque département.
Le rectorat garde l’aspect lycée. Chaque inspecteur académique dans son
département gère les collèges. Au sein de ça, j’étais coordinateur
culturel départemental pour le premier degré, maternelle et primaire.
Quel était votre travail comme coordinateur culturel de l’Académie de Nantes ?
J’étais un médiateur entre la culture et l’Éducation
nationale. Au sein de l’Académie, j’avais une équipe de conseillers
pédagogiques départementaux, trois en musique, trois en arts visuels. Je
m’occupais de tout le reste, théâtre, poésie, patrimoine,
architecture...Le Plan pour les Arts et la Culture, le PAC,
de Jack Lang et Catherine Tasca, initié au début des années 2000,
prévoyait un coordinateur culturel académique dans chaque département
pour le premier degré, maternelle et primaire ; pour le deuxième degré,
des professeurs chargés de la mission culturelle avec des volumes
d’heures en plus.
Je suivais donc le dispositif, vraiment judicieux, des
classes à Projet Artistique et Culturel, les classes à PAC, issues de ce
plan. Il permettait à des artistes de développer un projet avec des
enseignants sur une année scolaire. Les élèves vivaient alors une vraie
immersion dans un univers artistique. Le projet était bien construit
avec l’enseignant et revêtait tout un lien avec toutes les autres
disciplines, ça nourrissait toute une année scolaire ! J’allais aider
ces classes à monter leurs projets, et les compagnies m’avaient repéré
comme personne ressource. J’étais là aussi, pour aider les enseignants
en leur expliquant qu’on pouvait intégrer la pratique culturelle tout en
étant bien dans le programme scolaire. Que l’Histoire de l’art, c’est
bien, mais que d’avoir un peu de pratique culturelle au quotidien, c’est
mieux.
Je gérais aussi des stages de formation pour les
enseignants en pratique artistique pour lesquels je me suis beaucoup
battu mais qui n’existent plus. Ces stages permettaient aux enseignants
de sortir de leur classe pendant trois semaines pour apprendre les arts
de la scène. Du théâtre, de la danse, du cirque, ils en mangeaient en
pratique et en théorique. Ils repartaient vraiment regonflés. C’était le
stage dans le plan de formation des enseignants qui avait le plus de
demandes : 25 places pour plus de 300 demandes ! Mais c’est aussi le
premier à avoir été supprimé...
Pourquoi ce service n’existe plus ? A-il été remplacé par autre chose ?
Mon poste de coordinateur départemental s’est vidé petit
à petit de son contenu à cause des restrictions budgétaires. Un nouvel
Inspecteur d’académie est arrivé avec une feuille de route pour cesser
ce genre de poste, plus dans l’air du temps, en « surplus ». Il a donc
été supprimé en 2009, et non remplacé. Maintenant, quatre inspecteurs se
partagent ce chantier, en plus de leur mission initiale, et sans
expertise du milieu artistique ou culturel.
Il n’y a plus de stages pour le corps enseignant. Les
classes à projet artistique et culturel n’existent presque plus. On en
comptait plus de 250 quand je suis arrivé au poste de coordinateur
culturel en 2003. En cinq ans il n’y en avait plus que 25. Quand je suis
parti, il n’y avait plus du tout de stratégie de sensibilisation et de
développement de projets artistiques et culturels auprès des élèves ou
des enseignants. Il restait des choses, mais seulement grâce au bon
vouloir des gens. Un dispositif comme École et cinéma
résiste car il est bien ancré sur le territoire mais pour le reste, ce
n’est plus pareil. Un autre exemple de ce qui existe encore, c’est École du spectateur organisé par le Grand T.
Ils proposent des stages pour les enseignants du premier degré. Mais
ces temps de formation sont pris sur leur temps personnel et la
responsable du projet à dû lutter pour maintenir le dispositif en place.
Les classes PAC ne coûtaient pas tant que ça
proportionnellement au budget global. L’État donnait 600 euros, la
commune donnait autant. Cela animait une année scolaire entière, ainsi
qu’un cycle d’interventions pour un professionnel. C’était pas ça qui
mettait en péril le budget de la Nation !
En supprimant ces budgets c’est un coup porté à l’épanouissement des
gens, mais aussi à la précarité des intervenants du spectacle. Toutes
ces interventions au niveau national ça fait un sacré nombre d’heures en
moins pour les artistes. De même, si l’on ne forme pas les
instituteurs, ils sont pauvre en culture. Avoir une pratique personnelle
artistique, ça demande quand même un budget, du temps et de l’énergie.
Je suis inquiet pour les collègues. Tout ce qui pouvait faire l’intérêt
dans la construction de la carrière professionnelle, comme faire des
projets avec les enfants, il n’y a plus les moyens nécessaires. La
culture dans l’éducation est maintenant considérée comme un bonus ; ce
n’est pas automatique.
Selon vous, est-ce que la culture doit être optionnelle dans l’éducation ?
Pour moi l’éducation passe par les pratiques
culturelles. Par une formation des instituteurs et des chefs
d’établissement. Ces derniers doivent être en mesure d’identifier les
enseignants ressources pour monter des projets. D’où l’idée de
complémentarité dans l’équipe. Tel enseignant sera plus en mesure de
proposer des projets sportifs, un autre de l’art ou de la culture. Bien
sûr, tout ça n’est pas cloisonné, un professeur de mathématiques peut
faire du théâtre. Dans le socle commun de connaissances du programme
scolaire, la culture semble s’arrêter aux Beatles, voir avant. On fait
un peu d’histoire de l’art, pour la vitrine. C’est bien pour donner des
références, mais on ne sort plus au musée. Il faut plus de pratiques, et
que les enseignants puissent prendre du temps pour ça.
Les pratiques culturelles et artistiques s’inscrivent dans un vrai
projet de société, donc d’éducation. Si on précarise les budgets
culturels et les artistes dans le milieu scolaire, on précarise aussi
l’accès des enfants et de leurs familles à cette ouverture d’esprit.
Ceux qui continueront à avoir une pratique seront ceux qui ont les
moyens et en dehors du temps scolaire.
Selon vous, est-ce que l’éducation se dégrade ?
Au sein de l’Éducation nationale, la maison mère, oui !
Au niveau accessibilité culturelle, les dégâts ont déjà été faits et
cela va être dur de revenir en arrière. La culture se dégrade de façon
générale car il y a une multitude de sollicitations entre la télévision,
internet, la console de jeux... L’enfant a trop de choix ! Il ne peut
pas identifier ce qui lui plaît ou ce qui le passionne. Peu de gens ont
des pratiques culturelles et artistiques, il faut aller les chercher. Il
y a un travail à faire avec les familles. Dans l’idéal, il faudrait un
soutien aux familles avec les enseignants en dehors de l’école. Car cela
donne un vécu, un vocabulaire commun, un partage. Cela désacralise les
lieux et les pratiques culturelles. D’ailleurs, pour l’élève qui
décroche, il ne va pas y arriver tout seul. Le temps de l’école ne
suffit pas à tout. Tout dépend de son lieu de vie, pas forcément de ses
parents, mais aussi des associations, son environnement. Mais il faut
l’encourager dans le temps. Il ne suffit pas d’allumer une flamme, il
faut l’entretenir ! La culture, c’est pas magique.
Quelle est la place de l’orientation des élèves vers le secteur culturel ?
On n’encourage pas vraiment les élèves à aller vers ce
secteur. On a souvent l’image de la cigale ! Mais il y a une vraie
économie dans ce milieu. Allez demander au maire d’Avignon les sommes
d’argent que la Ville a perdues pendant la grève du festival ! Ce sont
des vrais métiers, une vraie économie pour les garçons comme pour les
filles. Il faut des qualités d’organisation et de rigueur. Pour une
heure de divertissement, il y a des heures de travail en amont. En
France on a encore la chance d’avoir le statut d’intermittent. Mais il
faut mieux clarifier le statut, sinon forcément cela décourage.
En ce qui peut concerner l’avenir des pratiques
culturelles et artistiques à l’école, il faut penser en termes de
balanciers. Il y a toujours un retour. On y reviendra. L’Éducation
nationale n’en est pas à sa première erreur. Il y a eu beaucoup de
dégâts et ce n’est pas gagné pour que l’on retrouve les moyens qu’on
avait auparavant. Cela ne peut que être mieux par la suite. Il ne faut
pas grand chose pour que cela se réanime, je ne suis pas non plus
défaitiste. Il faut qu’on touche le fond pour voir le vrai danger et là,
on ne l’a pas encore touché.
Quel serait le message que vous voudriez passer aux élèves ?
Ce ne serait pas un message aux élèves mais aux
enseignants. Qu’il faut qu’ils soient prêts à s’enthousiasmer, à avoir
des rôles de passeurs de culture, de médiateurs. Il faut qu’ils aient
cette volonté. Enseignants, battez vous ! Ne lâchez pas ! Sinon vous
allez vous faire suer. Si au départ vous n’êtes pas assuré ou
volontaire, c’est dangereux. Si vous n’avez pas testé les pratiques
culturelles ou artistiques, allez-y, et devenez « accros », il n’y a pas
de contre-indication.
Propos recueillis par Geneviève Brillet